Rechercher dans ce blog

dimanche 20 juillet 2025

L' altérité, c'est Emmanuel Lévinas


Emmanuel Levinas : une révolution éthique de la pensée moderne

Emmanuel Levinas (1906-1995) est aujourd’hui reconnu comme l’un des philosophes les plus profonds et originaux du XXe siècle. Issu d'une famille juive pratiquante, né en Lituanie, formé en Allemagne auprès de Husserl et Heidegger, puis établi en France, il a développé une pensée radicalement nouvelle centrée sur l’éthique comme fondement premier de la philosophie.

Son œuvre majeure,

Totalité et Infini, publiée en 1961, marque une rupture avec la tradition occidentale centrée sur l’être, la totalité, la connaissance, pour réorienter la pensée vers la responsabilité infinie envers autrui. brUne critique de l’ontologie dominante
Dans Totalité et Infini, Levinas s’en prend à ce qu’il appelle la logique de la totalité. Il considère que la philosophie occidentale, depuis les Grecs jusqu’à Heidegger, a pensé l’homme à partir de l’Être, de la totalité du monde, de la compréhension rationnelle et du pouvoir de la subjectivité. Même des penseurs comme Husserl ou Heidegger, pourtant novateurs, restent selon lui prisonniers de cette logique ontologique. L’homme s’y affirme comme un sujet souverain qui saisit, comprend, englobe le monde et les autres dans ses catégories.

Levinas renverse cette hiérarchie. Pour lui, l’éthique précède l’ontologie. L’expérience primordiale n’est pas celle de l’être, ni de la connaissance, mais celle de la rencontre avec autrui, du visage qui me fait sortir de moi-même. Ce visage, dit-il, « parle », et me met immédiatement en cause.

Il m’oblige, avant toute décision consciente. Il est nu, fragile, et en même temps porteur d’une autorité irréductible. Le visage de l’autre : une transcendance immanente Le concept central de Totalité et Infini est celui de visage. Le visage n’est pas une donnée physique ou psychologique ; il est ce par quoi autrui échappe à toute réduction, à toute saisie, à toute objectivation. Il est ce qui me résiste, ce qui m’interpelle. La présence du visage de l’autre est un événement éthique, une transcendance immanente, une manière dont l’infini surgit dans le quotidien.

Levinas écrit : « Le visage est signification sans contexte. » Il brise la logique du même, de la compréhension totale, et introduit un ordre nouveau : celui de la responsabilité inconditionnelle. Cette pensée s’enracine aussi dans son expérience historique : Levinas, d’origine juive, a vu sa famille décimée par la Shoah.

Lui-même, prisonnier de guerre en France, a été protégé en tant qu’officier.

Son œuvre porte donc la trace d’une rupture : celle d’un monde où la culture, la philosophie, la raison n’ont pas empêché la barbarie. D’où la nécessité, pour lui, de fonder une pensée qui ne commence pas par l’être, mais par l’autre, par ce qui échappe à tout système. Une philosophie de la responsabilité Chez Levinas, la responsabilité est asymétrique et infinie. Il ne s’agit pas d’un contrat réciproque entre égaux, mais d’un engagement unilatéral qui ne dépend pas de la réponse de l’autre. Je suis responsable de l’autre avant même de l’avoir voulu, avant même qu’il me parle.

Il écrit : « Je suis responsable de l’autre sans attendre la réciproque, fût-ce au péril de ma vie. » Cette responsabilité n’est pas facultative, elle est l’essence même du sujet humain.

Le “je” n’existe pas en tant qu’être autonome, mais en tant que réponse à l’appel de l’autre. Cette conception bouleverse les catégories classiques de la morale (devoir, liberté, autonomie) et ouvre une voie radicalement nouvelle, qui inspire aujourd’hui aussi bien la pensée éthique que politique, juridique ou théologique. Une influence silencieuse mais profonde si Levinas n’a jamais acquis une notoriété grand public comparable à celle de Sartre ou Foucault, son influence dans les cercles philosophiques, théologiques et humanistes est immense.

Il a inspiré des penseurs aussi divers que Jacques Derrida, Paul Ricœur, Jean-Luc Marion ou Judith Butler. En insistant sur l’altérité radicale, sur l’éthique de la responsabilité, il a contribué à renouveler des débats sur la justice, l’hospitalité, la dignité humaine et la place de l’autre — qu’il soit exilé, étranger, pauvre ou vulnérable — dans nos sociétés. Dans un monde marqué par la montée des individualismes, des exclusions, des replis identitaires, la pensée de Levinas résonne avec une force particulière.

Elle rappelle que la relation humaine ne commence pas par l’appropriation ou la reconnaissance réciproque, mais par l’obligation inconditionnelle envers l’autre. Elle nous oblige à penser la démocratie, le droit, et même la philosophie à partir d’un horizon éthique, non d’un calcul rationnel.

Emmanuel Levinas n’est peut-être pas, dans l’absolu, « le plus grand philosophe du XXe siècle » — une telle désignation resterait subjective et dépend des critères que l’on choisit. Mais il est assurément l’un des plus indispensables. À l’heure où les crises humanitaires, écologiques, sociales nous poussent à repenser les fondements de notre vivre-ensemble, la voix de Levinas — discrète, exigeante, profondément humaine — s’impose comme un phare éthique. Il nous enseigne que l’altérité n’est pas un obstacle à la pensée, mais son origine même.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire