Tunisie 1942-1943 : Une guerre oubliée, une mémoire effacée
« La Tunisie fut un laboratoire de l’affrontement total entre la barbarie nazie et l’espoir allié, mais aussi un miroir des contradictions françaises. »
1. Une campagne décisive et sanglante
La Tunisie fut le dernier champ de bataille nord-africain de la Seconde Guerre mondiale. Après l’opération Torch en novembre 1942, où les Alliés débarquèrent au Maroc et en Algérie, les forces de l’Axe se replièrent vers l’est.
L’Allemagne et l’Italie décidèrent de défendre coûte que coûte la Tunisie, clef stratégique entre la Méditerranée, l’Afrique et l’Europe. Hitler ordonna l’envoi de la 5e Panzerarmee et du général Rommel, replié d’Égypte, pour repousser l’avancée alliée.
Les principales batailles furent :
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La bataille de Kasserine (février 1943), où les Américains, mal préparés, subirent de lourdes pertes face aux blindés allemands.
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La bataille de Mareth (mars 1943), où Montgomery lança une vaste offensive contre les lignes fortifiées françaises réutilisées par les Allemands.
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La bataille de l’Enfidaville (avril-mai 1943), où les Britanniques, appuyés par des troupes françaises et polonaises, encerclèrent les forces de l’Axe.
L’aviation joua un rôle crucial. Les combats aériens au-dessus de Tunis, Gabès ou Sfax virent s’affronter les chasseurs Spitfires, Messerschmitt et Curtiss P-40. Le ciel tunisien devint un cimetière pour des centaines d’avions.
"La Tunisie, c’était notre Stalingrad du désert », écrira plus tard un officier britannique".
2. Les otages, les représailles et les humiliations
Dans leur repli et leur obsession de résistance, les nazis ne reculèrent devant rien. À Tunis, Gabès, Sfax, Sousse, ils prirent des otages civils juifs , exécutèrent des résistants, et utilisèrent la torture dans les centres de détention improvisés.
Des documents retrouvés après-guerre révèlent que les Juifs tunisiens furent rafflés et forcés à des travaux forcés sous la direction de la Wehrmacht : construction de pistes, transports de munitions, fortifications. Certains moururent sous les coups ou d’épuisement.
Les nazis créèrent de véritables camps de travail à Djedeida, La Manouba et Bizerte.
Les autorités vichystes locales – gouverneur général Jean-Pierre Esteva en tête – collaborèrent sans réserve. Elles mirent en œuvre les lois antisémites de Vichy, déchurent des citoyens juifs de leurs droits, destituèrent enseignants, avocats et médecins juifs et ce dès 1940.
Le Grand Rabbin de Tunis, Haïm Bitan, dénonça :
« L’humiliation est constante, l’humiliation est quotidienne. »
3. L’ambivalence de la population locale
Si une partie de la population musulmane tunisienne resta à l’écart du conflit, des tensions apparurent rapidement. Certains notables arabes se montrèrent hostiles aux troupes alliées, vues comme nouvelles colonisatrices.
Bourguiba se rendit à Rome pour convaincre Mussolini d'accorder l'indépendance à la Tunisie.
Des actes de pillage contre des propriétés juives furent recensés à la suite des bombardements. Dans certains cas, des dénonciations de Juifs aux Allemands ou à la milice vichyste étaient constantes.
4. Les résistants juifs tunisiens : des héros oubliés
La communauté juive de Tunisie ne resta pas passive. De nombreux jeunes juifs rejoignirent des réseaux de résistance clandestine. Ils collectaient des informations, sabotaient les lignes allemandes, aidaient les Alliés à identifier les positions de l’Axe.
Des figures comme Gilbert Mazliah, Georges Adda, Roger Bismuth, Jacques Zérah ont pris des risques insensés pour lutter contre les nazis. Certains furent arrêtés, torturés, et tués.
Les Français libres, arrivés avec Leclerc ou Koenig, s’appuyèrent sur cette jeunesse locale courageuse, souvent instruite, francophone et républicaine.
Le général Juin déclara en mai 1943 : « Les juifs de Tunisie n’ont pas seulement souffert, ils ont combattu. »
5. Conséquences et postérité
En mai 1943, la reddition allemande en Tunisie mit fin à la campagne nord-africaine. Ce fut une victoire stratégique majeure des Alliés. Plus de 275 000 soldats de l’Axe furent capturés.
Mais le prix fut élevé : plus de 16 000 morts alliés, des milliers de civils tués, des quartiers entiers détruits à Tunis et Sfax.
Pour les 150 000 Juifs, ils ont évité le sort de leurs coreligionnaires de Salonique, et cette période fut le prélude aux grandes migrations post-1945, face à la montée du nationalisme arabe, aux souvenirs cuisants de la guerre et à la marginalisation progressive dans la Tunisie indépendante.
La mémoire officielle, longtemps dominée par le récit national tunisien, a trop souvent occulté l’implication des Juifs dans la résistance, leurs souffrances sous les nazis et les vexations pétainistes.
Redonner une voix à la mémoire tunisienne juive
La campagne de Tunisie mérite d’être réinscrite dans notre mémoire historique, non comme une simple page militaire, mais comme un moment d’une rare intensité humaine.
Elle révèle les duplicité de Vichy, les lâchetés mais aussi les courages, la complexité des relations intercommunautaires, et surtout le rôle injustement effacé des Juifs tunisiens dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
« L’Histoire n’oublie que ceux que les nations préfèrent effacer. Il est temps de rétablir la vérité. »
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