Hiroshima, 80 ans après : les séquelles durables d’une détonation
Une révolution scientifique à quel prix
Le 6 août 1945 à 8 h 15, un bombardier américain B-29, l’Enola Gay, largue sur la ville japonaise d’Hiroshima une bombe à uranium baptisée Little Boy.
En quelques secondes, près de 70 000 personnes meurent, et plus de 140 000 périront dans les mois suivants. Trois jours plus tard, Nagasaki subira un sort similaire.
Ce moment marque un tournant scientifique majeur : la mise en œuvre concrète des théories de la fission nucléaire développées depuis les années 1930 par Enrico Fermi, Lise Meitner, Otto Hahn, Robert Oppenheimer et tant d’autres. Le projet Manhattan, conçu dans le secret aux États-Unis, a mobilisé plus de 130 000 personnes.
Pour certains physiciens, ce fut une victoire technique, mais une défaite morale. Oppenheimer, le « père de la bombe », déclara à son retour :
“Now I am become Death, the destroyer of worlds” — citation de la Bhagavad-Gītā qu’il prononça après l’essai de Trinity.
Scientifiquement, Hiroshima a catalysé :
- le développement de la physique nucléaire appliquée,
- la création de l’ère atomique,
- l’accélération des recherches médicales sur la radiologie,
- mais aussi une course aux armements qui perdure encore.
Une onde de choc politique mondiale
Le largage de la bombe atomique a précipité la reddition du Japon le 15 août 1945, mais il a aussi ouvert une ère de tension géopolitique. L’URSS, qui déclare la guerre au Japon le 8 août, comprend que l’équilibre mondial bascule vers une dissuasion nucléaire.
Dès 1949, elle teste sa propre bombe. S’ensuit une course à l’armement nucléaire entre les États-Unis et l’URSS, relayée ensuite par :
- la France (1960),
- le Royaume-Uni (1952),
- la Chine (1964),
- puis l’Inde, le Pakistan, Israël (de manière non déclarée), et plus récemment la Corée du Nord.
Aujourd’hui, neuf pays possèdent officiellement ou officieusement l’arme nucléaire.
L’explosion d’Hiroshima a donc légitimé le nucléaire militaire comme monnaie stratégique. Mais les discours varient :
- En France, l’arme nucléaire est vue comme « l’assurance-vie de la nation » (général de Gaulle).
- En Israël, elle est dissuasive face à l’environnement régional hostile.
- En Allemagne, les voix pacifistes comme celle de l’évêque de Mayence en 1985 rappellent :
“Hiroshima n’était pas une victoire. C’était un avertissement éternel.”
Au Japon, pays pacifiste depuis 1947, la bombe reste un traumatisme fondateur. Chaque année, le Premier ministre japonais lit un discours de paix à Hiroshima et Nagasaki, en présence de survivants (hibakusha), avec une prière pour l’abolition mondiale des armes nucléaires.
Conséquences écologiques et médicales durables
Pollution radioactive
La bombe d’Hiroshima a libéré une énergie équivalente à 15 kilotonnes de TNT, entraînant :
- des températures de plus de 4 000 °C au sol,
- une irradiation massive de l’air, des sols et des eaux,
- la formation d’un nuage radioactif qui a contaminé la région durant plusieurs années.
Les études de la Radiation Effects Research Foundation (RERF) ont montré des anomalies génétiques sur plusieurs générations, notamment :
- des cas accrus de leucémies et de cancers thyroïdiens,
- des malformations congénitales,
- des troubles du développement cognitif chez les enfants exposés in utero.
Plusieurs zones de la ville sont restées impropres à la culture pendant plus de 15 ans. L’accident de Fukushima en 2011 a ravivé le souvenir d’Hiroshima et réouvert un débat national sur le risque nucléaire civil et militaire.
Mémoire vivante :
les hibakusha
Aujourd’hui, il reste environ 100 000 survivants officiels, appelés hibakusha, souvent stigmatisés dans la société japonaise en raison de leur fragilité médicale. L’une d’elles, Setsuko Thurlow, devenue militante internationale, déclara à l’ONU en 2017 :
“Je suis la voix de ceux qui ont été vaporisés, brûlés ou enterrés vivants. La bombe n’a pas seulement tué, elle a transformé l’humanité en cobaye.”
Une leçon morale encore débattue
Un débat éthique profond
Depuis 1945, une question obsède historiens, militaires et philosophes : était-il moralement justifié de bombarder Hiroshima et Nagasaki ? Les partisans affirment que cela a sauvé des millions de vies en évitant une invasion terrestre du Japon.
D’autres y voient un crime contre l’humanité :
- Jean-Paul Sartre, en 1946, écrivait :
“L’histoire jugera les vainqueurs non à leur gloire mais à leurs cendres.”
- Le philosophe Bertrand Russell parla d’“une monstruosité de la raison technicienne”.
En 1995, pour le 50ᵉ anniversaire, le Smithsonian Institute à Washington a voulu exposer l’Enola Gay accompagné de photos des victimes : l’armée américaine s’y opposa.
C’est dire combien le narratif de la bombe reste fragile, même aux États-Unis.
Une leçon toujours vive dans les sociétés civiles
À travers le monde, Hiroshima est devenu :
- un symbole absolu de la guerre totale,
- un avertissement sur les dérives de la science sans conscience,
- un cri contre la banalisation des armes de destruction massive.
En Amérique latine, l’explosion d’Hiroshima est régulièrement commémorée comme un argument pour un désarmement universel, notamment au Brésil et au Mexique.
En Afrique du Sud, l’unique pays à s’être volontairement dénucléarisé, Nelson Mandela déclara en 1995 :
“Notre humanité est plus grande que notre besoin de dominer. Hiroshima nous en donne la preuve brûlante.”
Hiroshima, mémoire et vigilance
80 ans après, le champignon atomique d’Hiroshima plane toujours sur la conscience humaine. Son héritage est ambivalent :
- une prouesse scientifique devenue apocalypse,
- une victoire stratégique devenue remords universel,
- une blessure écologique et morale dont les cicatrices ne se referment pas.
Si la mémoire d’Hiroshima faiblit, le risque, lui, est bien réel. La guerre en Ukraine, les tensions sino-américaines ou le programme nucléaire iranien, l’arrogance de la Corée du Nord prouvent que la dissuasion atomique reste un pilier incertain de la paix mondiale.
Dans les mots du philosophe Hans Jonas :
“Les effets de notre puissance ont dépassé notre imagination morale. Hiroshima fut notre premier réveil.
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